Comment le patronat et le gouvernement ont réussi à bloquer puis tasser les salaires ?

Publié le 24/04/2024

Les salarié·es sont de plus en plus nombreux à être rattrapés par le SMIC

Plus de 3 millions de travailleurs se retrouvent aujourd’hui au SMIC rien que dans le privé (plus encore avec les agents de la fonction publique), soit près d’1 salarié sur 5. C’est 1 million de plus en 2 ans ! Et près de 60% des salarié·es payées au SMIC sont des femmes… C’est ce que le gouvernement appelle la « smicardisation », à laquelle il envisage de répondre en fragilisant l’indexation automatique du SMIC plutôt que de penser à protéger tous les salaires !

Le problème ce n’est pas que le SMIC soit indexé sur les prix, mais que tous les salaires ne le soient pas

Quand les prix augmentent, le SMIC est revalorisé à la hauteur de l’inflation (lorsque celle-ci est au-dessus de 2%, le SMIC est revalorisé immédiatement, et si elle est en dessous, la correction se fait au 1er janvier de l’année suivante). C’est ce qu’impose le code du travail et qu’on appelle « l’indexation ». Ce n’est pas « du plus », c’est simplement éviter d’avoir « du moins ». Pour rappel, le dernier "coup de pouce" du SMIC, c'est-à-dire une augmentation au-delà de cette revalorisation automatique, remonte à 2012. Or le SMIC en France est bas, c’est seulement le 6ème d’Europe… Le SMIC est trop bas pour vivre et la CGT propose de l’augmenter de 1766€ brut actuellement à 2000 € brut.

Loin d’être un problème, l’indexation du SMIC sur les prix constitue au contraire le dernier rempart de protection minimale pour, simplement, maintenir le niveau de vie de celles et ceux qui sont au salaire minimum.

Comme les salaires ne sont pas indexés sur les prix, il y a un tassement des salaires

Les salaires au-dessus du SMIC ne sont, eux, pas indexés sur l’inflation. Les organisations syndicales se retrouvent à batailler dans les négociations de branches professionnelles comme d’entreprise, pour « gagner » la revalorisation des salaires à hauteur de l’inflation, c’est-à-dire simplement ne pas perdre en niveau de vie et empêcher le tassement des salaires. Ce que refusent le plus souvent les organisations patronales.

Plus grave encore, plus de 50 branches sont concernées par des grilles de salaires minima en-dessous du SMIC (59 branches sur les 172 de plus de 5000 salarié.es, à la fin avril, et non 16 branches sur lesquelles le Gouvernement communique parmi « 60 qu’il considère en vigilance »).

Résultat : comparé à la hausse des prix, les salaires ont diminué en valeur de 5% depuis 3 ans. L’écart entre le SMIC (1398 € net par mois) et le salaire médian (2200 € net par mois soit 1,6 fois le SMIC) se resserre de plus en plus et n’a jamais été aussi faible. Ce sont plus de 10 millions de salarié·es concernés. Au-delà, ce tassement participe à écraser les salaires de toutes et tous.

Le problème c’est que tous les salaires ne sont pas indexés sur le SMIC et la hausse des prix

Indexer l’ensemble des salaires sur le SMIC et sur l’inflation permettrait de ne pas perdre en niveau de vie, de maintenir les écarts de salaires et que les négociations sur les salaires dans les branches et les entreprises retrouvent leur raison d’être : augmenter réellement les salaires. Comme en France jusqu’en 1983 ou en Belgique aujourd’hui (pays où la croissance est supérieure, l’inflation inférieure), l’indexation des salaires sur les prix n’amplifierait pas l’inflation (elle est amplifiée par l’augmentation des profits) mais empêcherait bien la « smicardisation ».

Il y a un double intérêt pour les employeurs : plus ils payent mal les salariés, plus les aides publiques pour leurs entreprises sont importantes

À côté de cette « smicardisation » des travailleur·euses, jamais les entreprises n’ont versé autant de dividendes aux actionnaires au-delà même du record du CAC40. C’est notamment l’organisation de la sous-traitance en cascade qui permet de faire encore plus de bénéfices avec du moins disant social sur le dos des salarié.es.

En plus de vouloir augmenter leurs profits, les directions d’entreprises ont intérêt à maintenir les faibles salaires. En effet, plus les salaires sont bas et proches du SMIC, plus les aides publiques versées aux entreprises, sous forme d’exonérations de cotisations sociales, sont hautes. Celles-ci se retrouvent indexées sur le SMIC… Maintenir des faibles salaires devient doublement bénéfiques pour les directions d’entreprises.

Mais ces exonérations de cotisations diminuent notre salaire brut et affaiblissent notre système de protection sociale (ce qui conditionne et finance nos droits à des revenus de remplacement en cas d’arrêt maladie, de licenciement ou pour nos retraites…).

On assiste à un explosion des exonérations. Depuis 1999, le montant des exonérations générales a été multiplié par 5 pour atteindre plus de 2,5% du PIB en 2022. Aujourd’hui c’est près de 80 milliards d’euros de perte pour les comptes de l'État du fait des mécanismes de compensation, et donc principalement par celles et ceux qui ont le moins puisque la moitié des ressources de l’État proviennent de l’impôt le plus injuste qu’est la TVA (impôt dit indirect sur tous les achats que chacun paye autant que les plus fortunés).

Plutôt qu’augmenter nos salaires, la « solution » des primes occasionnelles non cotisées ?

Aux augmentations de salaires, les employeurs préfèrent céder, quand ils y sont obligés, des primes occasionnelles et non cotisées comme celle de partage de la valeur (PPV). On est content sur le moment mais c’est comme des « pourboires » puisqu’elles ne comptent ni pour le chômage, ni pour la maladie, ni pour la retraite.

A travers ces primes qui se substituent aux augmentations, nos salaires sont maintenus bas, ce qui permet aux entreprises de percevoir toujours plus d’exonérations de cotisations.

Même le gouvernement reconnait que l’on ne peut pas vivre avec le SMIC actuel et les bas salaires puisqu’il compense avec la prime d’activité les revenus de celles et ceux qui travaillent

Augmentée à la suite de la mobilisation des Gilets jaunes, en même temps que la création de la prime « Macron » (devenue PPV), la prime d’activité a été revalorisée pour atténuer la colère populaire. Pour un parent isolé, le cumul de la prime d’activité avec le SMIC actuel permet d’atteindre celui revendiqué par la CGT, soit 2000 € brut par mois… Si elle permet de survivre au mois le mois, cette prime n’est, comme les autres primes, pas du salaire. Pire, elle constitue en fait une aide publique supplémentaire aux entreprises versée au travers du salarié, pour pallier les trop faibles salaires octroyés par les patrons et que l’État se retrouve à compenser. C’est encore 12 milliards d’€ distribués chaque année.

La CGT veut stopper cette gabegie d’argent public donné aux entreprises privées qui pousse à maintenir tous les salaires vers le bas et n’ont aucun effet sur l’emploi

Tous les économistes conséquents conviennent que donner des exonérations de cotisations au-dessus de 1,6 SMIC (au-dessus de 2200 € net, c’est-à-dire 2800€ brut) n’a pas d’effet sur l’emploi. Il faut donc d’abord et immédiatement supprimer ces aides coûteuses et inutiles. Sur les près de 80 milliards d’euros annuelles de ce type d’aides publiques, cela représenterait une économie immédiate de plus de 15 milliards sur le budget de l’Etat chaque année, qui pourraient être utilisés utilement dans l’intérêt de la population (comme améliorer nos services publics par exemple).

Ensuite, pour sortir les entreprises de l’addiction aux aides en dessous d’1,6 SMIC, la CGT propose de « désindexer » les exonérations sur le SMIC, car avec le tassement des salaires vers le SMIC, cela provoque mécaniquement d’énormes effets d’aubaine. Il faut les transformer en valeur nominale, c’est-à-dire en euro, ce qui permettrait chaque année qu’il y ait enfin de la transparence et du contrôle pour vérifier collectivement et démocratiquement l’efficacité des exonérations sur les emplois, pour enfin les limiter.

Pour augmenter de 100 € le salaire net, il faudrait le revaloriser de 483 € ?

Dans les médias le 1er Ministre a mélangé volontairement salaires (la fiche de paye) et revenus (aides ou allocations liés à des droits : au logement, aux enfants, à la prime d’activité…) pour tromper la population. Contrairement au 483€ annoncés, augmenter de 100 € le salaire net revient à moins de 240 € brut pour l’entreprise et ce quel que soit le salaire entre 1 et 1,6 SMIC. Pour affirmer que cela imposerait de le revaloriser de 483 €, le gouvernement a pris pour exemple un parent isolé, au SMIC, avec des enfants, en amalgamant salaires et revenus du ménage, pour répandre leurs éléments de communication… Or ce sont les effets cumulés des exonérations de cotisations puis de prime d’activité qui conduisent à cette situation. Cet exemple révèle surtout que pour ce salarié au SMIC, les entreprises sont aujourd’hui subventionnées autour de 700 € par mois par l’Etat, voire près de 1000 € mensuels, si l’on ajoute la prime d’activité ! C’est le scandale dont personne ne parle.

Les primes d’aujourd’hui, c’est la déprime de demain… les aides publiques aux entreprise privées coutent cher et ont des effets délétères… alors que le salaire c’est le bonheur pour toute la vie !

Le salaire net (après les cotisations sociales, en bas de la fiche de paie) sert pour tout le mois, pour régler loyer, nourriture, transports, loisirs… Le salaire brut (socialisé, en haut de la fiche de paie -que le gouvernement veut justement effacer-) sert pour toute la vie, pour les moments difficiles (maladie, chômage) comme pour les plus joyeux (congé maternité, paternité, retraite).

À l’absence d’augmentation du salaire minimum, les grèves de 1968 avaient débouché sur sa revalorisation de 30 % et la suppression des abattements de zones permettant de rémunérer moins en province qu’à Paris. L’urgence c’est que les salarié·es puissent enfin vivre de leur travail, le net pour le mois et le brut pour les aléas ou les bonheurs de la vie. Dans un pays où plus de 50 % du PIB est lié à la consommation, augmenter les salaires c’est aussi relancer l’économie.

Thomas VACHERON (@ThomasVacheron_) · X Twitter


Source  : Journal du THCB avril 2024


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